Résumé
- Les descendants de Gilles Caillouet, résidant dans la région de Bonaventure,
ont modifié leur patronyme de «Caillouette» à «Cayouette». Quand et de quelle
façon s'est effectué ce changement? Qui
l'a initié et peut-on l'expliquer?
Les descendants de Gilles Caillouet[1]
sont connus en Amérique du Nord sous divers patronymes[2]
: Caillouet, Caillouette, Cayouette, et même, Caliouette. De tout temps et
encore aujourd'hui, ce patronyme a fait l'objet de nombreuses transformations par
l'ancêtre lui-même, plusieurs de ses descendants, les officiers de l'état civil,
les notaires... On a dénombré à ce jour
379 variations! Ces modifications ont déjà fait l'objet d'une première analyse[3].
Bonaventure regroupe depuis plus de deux cents ans
certains des descendants de l'ancêtre. Ces derniers sont surtout ceux d'un de
ses fils, Joseph-Henri Caillouet (1765-1820), et d'autres qui sont liés
à François-Xavier-Guillaume (dit Caillouette) (1859-1945); ce dernier a été
adopté par des descendants de cette paroisse au milieu du siècle dernier. La
consultation des microfilms des registres de la paroisse de Bonaventure[4]
de la fondation à la fin de l'année 1940 témoignent de la transformation, de
Caillouette à Cayouette, du patronyme des descendants de Gilles Caillouet. On
ne modifie pas son patronyme sans raison, et, surtout, on ne le fait pas
collectivement! D'où nos interrogations : quand et de quelle façon s'est effectué
ce changement? Qui a eu assez d'influence pour l'initier, et, surtout, être en mesure
d'en assurer une application effective telle qu'il présente un caractère
presque universel chez les descendants de cette localité? Peut-on avancer des éléments
pour l'expliquer? C'est là le but du présent article.
Les registres de cette paroisse renferment les trois
variations les plus fréquentes du patronyme. L'ancêtre Gilles Caillouet, qui y
a vécu plus trente ans avant d'y être inhumé en 1803, y est surtout inscrit
comme un Caillouet. Son fils Joseph-Henri Caillouet a quelques fois signé
Calouet, alors que les registres en font mention comme d'un Caillouet.
L'apparition à Bonaventure de la variante Caillouette date de 1830 environ; tout
au long du dix-neuvième siècle, les descendants y sont, la plupart du temps,
nommés Caillouette et signent de cette façon. Au recensement de 1861, tous les
descendants sont inscrits sous le patronyme Cailliouette. Or, depuis quelques
décennies, tous les descendants qui y résident écrivent leur patronyme «Cayouette».
Il en est de même d'autres descendants résidant dans les localités avoisinantes,
dont Saint-Siméon et Saint-Elzéar, de même qu'au nord du Nouveau-Brunswick
(région de Balmoral, de Saint-Quentin et d'Eel Rivier Crossing au sud de
Dalhousie).
Un ouvrage photocopié[5]
décrit l'évolution du patronyme à Bonaventure :
« Généalogie du nom « Cayouette »
N.B.
D'après les registres des paroisses où vécurent des familles Cayouette, nous
pouvons constater que notre ancêtre « Gilles » natif de St-Louis deBrest en
France, signait son nom Caillouet.
Vers
1750 et après l'arrivée au Canada des familles Caillouet, sur des conseils de
linguistes et d'experts en orthographie, nos ancêtres ont ajouté au nom
Caillouet, deux lettres pour en faire Caillouette.
Un
siècle plus tard, nous constatons que les descendants de « Gilles » notre ancêtre,
signaient Caouet.
Enfin,
depuis le début du 20e siècle jusqu'à aujourd'hui, il a été écrit et
nous écrivons encore Cayouette. ».
Cet extrait se doit d'être commenté. Tout d'abord,
il s'agit du seul texte connu qui contient une hypothèse pour expliquer la variation
du patronyme à Bonaventure. Notons que les deux auteurs connaissent bien la
graphie la plus fréquente utilisée par leur ancêtre. Leur explication de
l'ajout du «te» est pour le moins surprenante. En effet, on peut douter que
cette modification a été faite «...sur
des conseils de linguistes et d'experts en orthographe...»! Il s'agit plutôt
d'un cas typique et fréquent dans tout le Québec de dédoublement d'une consonne
à la fin d'un nom[6]
(comme dans l'exemple Ouellet, Ouellette). Par ailleurs, il est inexact d'affirmer
que les descendants de Gilles Caillouet signaient vers 1850, à Bonaventure ou
ailleurs au Québec, leur nom Caouet. Par contre, cette variation a été parfois
utilisée par les curés pour désigner les descendants de Pierre Cahouet et de Marie-Anne
Godreau, les ancêtres d'une famille totalement distincte. Enfin, ces deux
auteurs donne le début du 20e siècle comme date de l'apparition de
la graphie Cayouette.
Ces dernières années, divers témoignages de descendants
habitant Bonaventure, recueillis au cours de nos travaux généalogiques, ont
piqué notre curiosité. Une constante se dégageait de ces témoignages : le
changement de patronyme à Bonaventure avait fait l'objet d'une intervention d'un
membre du clergé, certains ont même mentionné l'implication d'un monseigneur.
La teneur de ces témoignages nous a incité à procéder à un examen minutieux des
registres de Bonaventure, dans le but de documenter, si possible, cette
situation.
Il tombe sous le sens qu'une modification de
patronyme ne se fait pas instantanément ou à une date précise. Aussi, son caractère
graduel[7]
ne surprendra nullement. L'examen des registres de Bonaventure permet de
découper, d'une façon un peu arbitraire, trois phases distinctes pour son
implantation. Une première phase va d'octobre1891 à la fin du mois d'avril
1919; elle est caractérisée par quelques occurrences épisodiques du patronyme
Cayouette dans les registres sans que l'on puisse toutefois observer un
caractère systématique[8].
Ainsi, trois vicaires différents ont employé ce patronyme dans des actes de baptême
datés du 14 octobre 1891, du 10 juin et du 19 juillet 1914. Un autre vicaire fait
de même dans deux actes de baptême et de sépulture du 29 juillet 1904. De temps
en temps, des descendants signent Cayouette à titre de témoins au bas de
certains actes; ainsi en est-il le 30 mars 1898, le 13 juillet 1908, le 1er
et le 14 octobre 1917. Enfin, un acte du 28 novembre 1909 a été rédigé en
utilisant le patronyme Cayouët.
La deuxième phase va de mai 1919 au mois d'octobre
1923; elle renferme les premiers exemples de l'implantation un peu
systématique, quoique malaisée, du patronyme Cayouette. Cette seconde phase
débute de fait le 16 mai 1919, date du premier acte Cayouette rédigé par le
curé Joseph-Elzéar Matte; elle se termine en octobre 1923 à la fin de la cure
de ce dernier à Bonaventure. En effet, sur les 17 actes de cette période relatifs
à des descendants, 11 font référence à des Caillouette et 6 à des Cayouette. Le
curé Matte a rédigé 10 de ces actes en faisant un usage égal des deux variations
du patronyme. On constate alors que
les signatures Cayouette par les descendants se font plus nombreuses au bas des
actes; certains descendants modifient même leur signature. Plusieurs d'entre
elles sont celles de chefs de ménage. La troisième et dernière phase débute en
novembre 1923 et se poursuit jusqu'à la fin de l'année 1940. On y observe que l'implantation
du patronyme Cayouette se fait alors de plus en plus systématique tant pour la
rédaction des actes que pour les signatures des descendants qui sont témoins;
elle présente également un caractère presque universel chez les descendants de
Gilles Caillouet; situation qui se vérifie encore aujourd'hui. Durant cette
période, la parution de quelques
ouvrages[9]
d'intérêt généalogique, consacre, en quelque sorte, la modification du
patronyme dans cette paroisse.
Une exception doit être relevée. Il est remarquable
qu'un des descendants, Lévi-Alexandre Caillouette, n'ait pas modifié la
graphie de son patronyme et ce, en dépit des demandes et des pressions qui ont
été faites ou exercées par d'autres descendants résidant à Bonaventure. Comme il
travaillait en Ontario dans les années 1930, cela a probablement joué. Plus
tard, il aurait confié à son fils Jacques que modifier son patronyme lui
paraissait trop compliqué. Par ailleurs, l'épouse de Lévi-Alexandre Caillouette raconte que la modification du patronyme à Bonaventure
s'explique ainsi : une dame Cayouette se mourrait aux États-Unis tout en ne
laissant aucun descendant; si les descendants de Bonaventure modifiaient leur
patronyme de Caillouette en Cayouette, ils avaient de meilleures chances d'obtenir
une partie de l'héritage qu'elle laissait! Cette explication tient sans nul doute
de la légende.
Le changement de graphie du patronyme a créé des situations
particulières chez les descendants. En 1920, Bonaventure compte 92 descendants
répartis dans 13 ménages différents. Certains descendants décrits comme
Caillouette dans un acte ont signé Cayouette au bas du même acte; la situation
inverse se rencontre également. Pour d'autres descendants, signer Cayouette ne
va pas de soi (par exemple, Caiyouette le 9 novembre 1927). Enfin, certaines
familles de descendants comptent alors des Caillouette et des Cayouette!
Il va de soi qu'un tel changement dans un patronyme
demande des conditions particulières, dont un milieu restreint, des personnes liées
de très près et une personne ayant une autorité morale pour l'imposer,
vraisemblablement un représentant du clergé.
Bonaventure, comme communauté, répond bien à
certaines de ces conditions et présente des caractéristiques particulières.
Tout d'abord, il faut noter sa taille réduite. Quand la famille de Gilles
Caillouet s'y installe au début de la décennie 1770, Bonaventure ne comptait qu'une
centaine d'habitants. Au recensement du Canada de 1921, elle en compte 2 780.
De plus, Bonaventure a toujours été une communauté souffrant d'un certain éloignement
et, partant, d'un certain isolement. Pendant longtemps, le bateau a constitué
le seul moyen de communication régulier et sûr pour s'y rendre et en sortir. En
effet, les communications par voie terrestre ou par chemin de fer ne datent que
du début du siècle. Encore maintenant, il faut compter au moins sept heures de route
pour s'y rendre à partir de Québec. De plus, Bonaventure est une «...paroisse de composition ethnique homogène,
presque essentiellement agricole...[10]»
où les mariages entre quelques familles ont été fréquents. Un calcul rapide
fait ressortir que plus de 77 % des actes des registres de Bonaventure entre
1900 et 1960 concernent seulement quatorze patronymes différents[11].
Pour leur part, les descendants de Gilles Caillouet ont toujours eu des liens
étroits avec les familles pionnières de cette localité. Ainsi, parmi eux, on
dénombre, entre autres choses, 45 unions avec des Arsenault; de même, on compte
34 mariages avec des Poirier, 16 avec des Bujold, 15 avec des Bourdages, 10 avec des Bernard,
10 avec des Cavanagh, 8 avec des Lepage, 7 avec des Arbour et, enfin, 7 autres
avec des Babin.
La date où le curé Joseph-Elzéar Matte, qui sera
nommé plus tard monseigneur, a rédigé un premier acte sous le patronyme
Cayouette, soit le 16 mai 1919, revêt une importance particulière. Comment
expliquer que, comme curé de Bonaventure, il attend plus de 7 ans et 8 mois avant
d'utiliser le patronyme Cayouette[12]?
La réponse, de notre point de vue, est liée au décès, le 13 avril précédent, du
curé Joseph-Réal-Alphonse Cayouette de St-Mathieu de Rimouski. La
nouvelle du décès de ce dernier, fort connu, a certainement circulé dans les
divers presbytères, dont celui de Bonaventure. Le curé Matte s'est alors vraisemblablement
souvenu de ce collègue qui, tout comme lui, a fait ses études au Séminaire de
Rimouski[13],
avant d'être vicaire ou curé dans diverses paroisses du diocèse de Rimouski. Ce denier fait partie de l'autre
branche de la famille où, au Québec, la graphie Cayouette s'est largement
imposée depuis le tout début du 19e siècle. Aussi, pour le curé
Matte, Cayouette était le patronyme de référence et la façon «correcte» de
l'écrire, surtout que cela concernait un de ses collègues prêtres. De plus,
certains traits de la personnalité de ce curé ont joué dans le développement de
la situation qui nous intéresse. Bona Arsenault dit de lui qu'il possédait «...une exceptionnelle force de caractère...»
et que «D'un maintien noble, il était
fait pour commander...»[14].
Ces traits, alliés au prestige et à l'autorité morale que lui conférait le
poste de curé de la paroisse, ont dû avoir une influence certaine chez les descendants
de Gilles Caillouet concernés. De même, sa responsabilité à titre d'officier de
l'état civil de tenir les registres lui procurait un avantage stratégique indéniable
pour implanter cette modification du patronyme et lui conférer un certain
caractère de pérennité. Enfin, l'influence de ce curé fut vraisemblablement
relayée par quelques-uns des descendants eux-mêmes, dont Ludger Cayouette.
CONCLUSION
À Bonaventure, le passage du patronyme Caillouette à
Cayouette s'est fait assez rapidement, et ses répercussions se font encore sentir
encore aujourd'hui. L'examen minutieux des registres paroissiaux a permis d'en
suivre la modification et de la documenter, ce qui est pratiquement inexistant pour
de telles situations. Des comparaisons avec d'autres patronymes n'ont pu être
faites et des avenues de recherche éventuelles n'ont pu être évoquées. Nous
formulons le souhait que d'autres généalogistes s'intéressent à ces aspects de
leur patronyme.
Nos remerciements à la direction de la revue L'Ancêtre de nous avoir permis de
reproduire cet article sur ce blogue.
[1] Voir René Bureau et Raymond Cayouette.
GILLES CAILLOUET. ARMURIER. Un pionnier de Bonaventure. Gaspésie, vol. XXIV, no 4, décembre 1986, p. 43-45. Gilles Cayouette.
Gilles Caillouet, armurier (1724-1803).L'ancêtre
des Caillouet Caillouette et Cayouette d'Amérique. Sainte-Foy, 16 décembre
1994, 57 p.
[2] Qui fixe la norme en ce domaine?
Pour notre part, la graphie Caillouet, façon la plus fréquente pour l'ancêtre
de signer son patronyme, sert de patronyme de référence. Par ailleurs, nous ne
traitons pas ici des surnoms dont la plupart des familles de cette paroisse
sont affublés. Certains des descendants y sont désignés comme des «fuseaux».
[3] Gilles Cayouette. La graphie du patronyme des descendants de
Gilles Caillouet (armurier; 1724-1803), ancêtre des «Caillouet», «Caillouette»
et «Cayouette» d'Amérique. Sainte Foy. 12 décembre 1996, 69 p. La situation
prévalant à Bonaventure est traitée aux pages 24 à 29.
[4] Officiellement, il s'agit de la paroisse
de Saint-Bonaventure d'Hamilton. En ce qui a trait aux microfilms, il s'agit,
aux Archives nationales du Québec, des bobines dont la cote est ZQ-06-402/01 à
ZQ-06-402/3, M 0172/02, M 0177/10 et des bobines # 1217 et 1218 du Fonds
Drouin.
[5] Ludger Cayouette et Émilien
Cayouette. Généalogie de la famille
Cayouette (Janvier) (8 générations). Bonaventure, [s.d.; 1967 ?], n. p.
[6] Voir René Jetté. Traité de généalogie. Montréal, Presses
de l'Université de Montréal, 1991, p. 103.
[7] Même si une personne décide de
modifier la graphie de son nom, cette dernière n'est nullement modifiée pour
autant dans les registres officiels. Un tel changement s'implante donc en
pratique à la génération suivante.
[8] L'influence de Joseph-Narcisse
(Norbert) Cayouette a peut-être pu jouer auprès de certains de ses proches pour
modifier leur patronyme. Élève brillant diplômé de l'École Normale Laval de Québec
en juin 1915, il y a suivi les traces de trois frères Cayouette Joseph-Réal-Alphonse,
J. Léo et Alphonse Cayouette. Ses proches avaient mis en lui tous leurs espoirs.
[9] Bicentenaire de Bonaventure 1760-1960, (s.d.), [1960?], 399 p. Les
trois volumes de Bona Arsenault relatifs aux registres de Bonaventure entre
1791 et 1991. L'ouvrage de Ludger Cayouette et d'Émilien Cayouette.
[10] Jean-Denis Gendron. Quelques
traits phonétiques d'une paroisse gaspésienne. Revue de l'association canadienne de linguistique, VI, no 1, mars
1955, p. 7.
[11] Les registres de Bonaventure II. 1900-1960. Montmagny, Éditions
Marquis, 1982.
[12] Dans ce cas-ci, il ne peut
s'agir de l'application d'une quelconque directive qui aurait pu émaner de l'évêque
en vue de standardiser la graphie des patronymes.
[13] Sans compter durant deux ans J.
Léo, un jeune frère du curé Cayouette.
[14] Les registres de Bonaventure. Volume I. 1791-1900. Montmagny, Éditions
Marquis, 1981, p. 39.
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