jeudi 28 août 2014

À Bonaventure, les Caillouette sont devenus des Cayouette

Ce texte a d'abord paru dans la revue L'Ancêtre, 2001, volume 28, numéro 2, pages 134-137.

Résumé - Les descendants de Gilles Caillouet, résidant dans la région de Bonaventure, ont modifié leur patronyme de «Caillouette» à «Cayouette». Quand et de quelle façon  s'est effectué ce changement? Qui l'a initié et peut-on l'expliquer? 

Les descendants de Gilles Caillouet[1] sont connus en Amérique du Nord sous divers patronymes[2] : Caillouet, Caillouette, Cayouette, et même, Caliouette. De tout temps et encore aujourd'hui, ce patronyme a fait l'objet de nombreuses transformations par l'ancêtre lui-même, plusieurs de ses descendants, les officiers de l'état civil, les notaires...  On a dénombré à ce jour 379 variations! Ces modifications ont déjà fait l'objet d'une première analyse[3]. 

Bonaventure regroupe depuis plus de deux cents ans certains des descendants de l'ancêtre. Ces derniers sont surtout ceux d'un de ses fils, Joseph-Henri Caillouet (1765-1820), et d'autres qui sont liés à François-Xavier-Guillaume (dit Caillouette) (1859-1945); ce dernier a été adopté par des descendants de cette paroisse au milieu du siècle dernier. La consultation des microfilms des registres de la paroisse de Bonaventure[4] de la fondation à la fin de l'année 1940 témoignent de la transformation, de Caillouette à Cayouette, du patronyme des descendants de Gilles Caillouet. On ne modifie pas son patronyme sans raison, et, surtout, on ne le fait pas collectivement! D'où nos interrogations : quand et de quelle façon s'est effectué ce changement? Qui a eu assez d'influence pour l'initier, et, surtout, être en mesure d'en assurer une application effective telle qu'il présente un caractère presque universel chez les descendants de cette localité? Peut-on avancer des éléments pour l'expliquer? C'est là le but du présent article. 

Les registres de cette paroisse renferment les trois variations les plus fréquentes du patronyme. L'ancêtre Gilles Caillouet, qui y a vécu plus trente ans avant d'y être inhumé en 1803, y est surtout inscrit comme un Caillouet. Son fils Joseph-Henri Caillouet a quelques fois signé Calouet, alors que les registres en font mention comme d'un Caillouet. L'apparition à Bonaventure de la variante Caillouette date de 1830 environ; tout au long du dix-neuvième siècle, les descendants y sont, la plupart du temps, nommés Caillouette et signent de cette façon. Au recensement de 1861, tous les descendants sont inscrits sous le patronyme Cailliouette. Or, depuis quelques décennies, tous les descendants qui y résident écrivent leur patronyme «Cayouette». Il en est de même d'autres descendants résidant dans les localités avoisinantes, dont Saint-Siméon et Saint-Elzéar, de même qu'au nord du Nouveau-Brunswick (région de Balmoral, de Saint-Quentin et d'Eel Rivier Crossing au sud de Dalhousie). 

Un ouvrage photocopié[5] décrit l'évolution du patronyme à Bonaventure :
« Généalogie du nom « Cayouette » 

N.B. D'après les registres des paroisses où vécurent des familles Cayouette, nous pouvons constater que notre ancêtre « Gilles » natif de St-Louis deBrest en France, signait son nom Caillouet.
Vers 1750 et après l'arrivée au Canada des familles Caillouet, sur des conseils de linguistes et d'experts en orthographie, nos ancêtres ont ajouté au nom Caillouet, deux lettres pour en faire Caillouette.
Un siècle plus tard, nous constatons que les descendants de « Gilles » notre ancêtre, signaient Caouet.
Enfin, depuis le début du 20e siècle jusqu'à aujourd'hui, il a été écrit et nous écrivons encore Cayouette. ». 

Cet extrait se doit d'être commenté. Tout d'abord, il s'agit du seul texte connu qui contient une hypothèse pour expliquer la variation du patronyme à Bonaventure. Notons que les deux auteurs connaissent bien la graphie la plus fréquente utilisée par leur ancêtre. Leur explication de l'ajout du «te» est pour le moins surprenante. En effet, on peut douter que cette modification a été faite «...sur des conseils de linguistes et d'experts en orthographe...»! Il s'agit plutôt d'un cas typique et fréquent dans tout le Québec de dédoublement d'une consonne à la fin d'un nom[6] (comme dans l'exemple Ouellet, Ouellette). Par ailleurs, il est inexact d'affirmer que les descendants de Gilles Caillouet signaient vers 1850, à Bonaventure ou ailleurs au Québec, leur nom Caouet. Par contre, cette variation a été parfois utilisée par les curés pour désigner les descendants de Pierre Cahouet et de Marie-Anne Godreau, les ancêtres d'une famille totalement distincte. Enfin, ces deux auteurs donne le début du 20e siècle comme date de l'apparition de la graphie Cayouette. 

Ces dernières années, divers témoignages de descendants habitant Bonaventure, recueillis au cours de nos travaux généalogiques, ont piqué notre curiosité. Une constante se dégageait de ces témoignages : le changement de patronyme à Bonaventure avait fait l'objet d'une intervention d'un membre du clergé, certains ont même mentionné l'implication d'un monseigneur. La teneur de ces témoignages nous a incité à procéder à un examen minutieux des registres de Bonaventure, dans le but de documenter, si possible, cette situation. 

Il tombe sous le sens qu'une modification de patronyme ne se fait pas instantanément ou à une date précise. Aussi, son caractère graduel[7] ne surprendra nullement. L'examen des registres de Bonaventure permet de découper, d'une façon un peu arbitraire, trois phases distinctes pour son implantation. Une première phase va d'octobre1891 à la fin du mois d'avril 1919; elle est caractérisée par quelques occurrences épisodiques du patronyme Cayouette dans les registres sans que l'on puisse toutefois observer un caractère systématique[8]. Ainsi, trois vicaires différents ont employé ce patronyme dans des actes de baptême datés du 14 octobre 1891, du 10 juin et du 19 juillet 1914. Un autre vicaire fait de même dans deux actes de baptême et de sépulture du 29 juillet 1904. De temps en temps, des descendants signent Cayouette à titre de témoins au bas de certains actes; ainsi en est-il le 30 mars 1898, le 13 juillet 1908, le 1er et le 14 octobre 1917. Enfin, un acte du 28 novembre 1909 a été rédigé en utilisant le patronyme Cayouët. 

La deuxième phase va de mai 1919 au mois d'octobre 1923; elle renferme les premiers exemples de l'implantation un peu systématique, quoique malaisée, du patronyme Cayouette. Cette seconde phase débute de fait le 16 mai 1919, date du premier acte Cayouette rédigé par le curé Joseph-Elzéar Matte; elle se termine en octobre 1923 à la fin de la cure de ce dernier à Bonaventure. En effet, sur les 17 actes de cette période relatifs à des descendants, 11 font référence à des Caillouette et 6 à des Cayouette. Le curé Matte a rédigé 10 de ces actes en faisant un usage égal des deux variations du patronyme. On      constate alors que les signatures Cayouette par les descendants se font plus nombreuses au bas des actes; certains descendants modifient même leur signature. Plusieurs d'entre elles sont celles de chefs de ménage. La troisième et dernière phase débute en novembre 1923 et se poursuit jusqu'à la fin de l'année 1940. On y observe que l'implantation du patronyme Cayouette se fait alors de plus en plus systématique tant pour la rédaction des actes que pour les signatures des descendants qui sont témoins; elle présente également un caractère presque universel chez les descendants de Gilles Caillouet; situation qui se vérifie encore aujourd'hui. Durant cette période, la parution  de quelques ouvrages[9] d'intérêt généalogique, consacre, en quelque sorte, la modification du patronyme dans cette paroisse. 

Une exception doit être relevée. Il est remarquable qu'un des descendants, Lévi-Alexandre Caillouette, n'ait pas modifié la graphie de son patronyme et ce, en dépit des demandes et des pressions qui ont été faites ou exercées par d'autres descendants résidant à Bonaventure. Comme il travaillait en Ontario dans les années 1930, cela a probablement joué. Plus tard, il aurait confié à son fils Jacques que modifier son patronyme lui paraissait trop compliqué. Par ailleurs, l'épouse de Lévi-Alexandre Caillouette  raconte que la modification du patronyme à Bonaventure s'explique ainsi : une dame Cayouette se mourrait aux États-Unis tout en ne laissant aucun descendant; si les descendants de Bonaventure modifiaient leur patronyme de Caillouette en Cayouette, ils avaient de meilleures chances d'obtenir une partie de l'héritage qu'elle laissait! Cette explication tient sans nul doute de la légende. 

Le changement de graphie du patronyme a créé des situations particulières chez les descendants. En 1920, Bonaventure compte 92 descendants répartis dans 13 ménages différents. Certains descendants décrits comme Caillouette dans un acte ont signé Cayouette au bas du même acte; la situation inverse se rencontre également. Pour d'autres descendants, signer Cayouette ne va pas de soi (par exemple, Caiyouette le 9 novembre 1927). Enfin, certaines familles de descendants comptent alors des Caillouette et des Cayouette! 

Il va de soi qu'un tel changement dans un patronyme demande des conditions particulières, dont un milieu restreint, des personnes liées de très près et une personne ayant une autorité morale pour l'imposer, vraisemblablement un représentant du clergé. 

Bonaventure, comme communauté, répond bien à certaines de ces conditions et présente des caractéristiques particulières. Tout d'abord, il faut noter sa taille réduite. Quand la famille de Gilles Caillouet s'y installe au début de la décennie 1770, Bonaventure ne comptait qu'une centaine d'habitants. Au recensement du Canada de 1921, elle en compte 2 780. De plus, Bonaventure a toujours été une communauté souffrant d'un certain éloignement et, partant, d'un certain isolement. Pendant longtemps, le bateau a constitué le seul moyen de communication régulier et sûr pour s'y rendre et en sortir. En effet, les communications par voie terrestre ou par chemin de fer ne datent que du début du siècle. Encore maintenant, il faut compter au moins sept heures de route pour s'y rendre à partir de Québec. De plus, Bonaventure est une «...paroisse de composition ethnique homogène, presque essentiellement agricole...[10]» où les mariages entre quelques familles ont été fréquents. Un calcul rapide fait ressortir que plus de 77 % des actes des registres de Bonaventure entre 1900 et 1960 concernent seulement quatorze patronymes différents[11]. Pour leur part, les descendants de Gilles Caillouet ont toujours eu des liens étroits avec les familles pionnières de cette localité. Ainsi, parmi eux, on dénombre, entre autres choses, 45 unions avec des Arsenault; de même, on compte 34 mariages avec des Poirier, 16 avec des Bujold, 15 avec des Bourdages, 10 avec des Bernard, 10 avec des Cavanagh, 8 avec des Lepage, 7 avec des Arbour et, enfin, 7 autres avec des Babin. 

La date où le curé Joseph-Elzéar Matte, qui sera nommé plus tard monseigneur, a rédigé un premier acte sous le patronyme Cayouette, soit le 16 mai 1919, revêt une importance particulière. Comment expliquer que, comme curé de Bonaventure, il attend plus de 7 ans et 8 mois avant d'utiliser le patronyme Cayouette[12]? La réponse, de notre point de vue, est liée au décès, le 13 avril précédent, du curé Joseph-Réal-Alphonse Cayouette de St-Mathieu de Rimouski. La nouvelle du décès de ce dernier, fort connu, a certainement circulé dans les divers presbytères, dont celui de Bonaventure. Le curé Matte s'est alors vraisemblablement souvenu de ce collègue qui, tout comme lui, a fait ses études au Séminaire de Rimouski[13], avant d'être vicaire ou curé dans diverses paroisses du diocèse de  Rimouski. Ce denier fait partie de l'autre branche de la famille où, au Québec, la graphie Cayouette s'est largement imposée depuis le tout début du 19e siècle. Aussi, pour le curé Matte, Cayouette était le patronyme de référence et la façon «correcte» de l'écrire, surtout que cela concernait un de ses collègues prêtres. De plus, certains traits de la personnalité de ce curé ont joué dans le développement de la situation qui nous intéresse. Bona Arsenault dit de lui qu'il possédait «...une exceptionnelle force de caractère...» et que «D'un maintien noble, il était fait pour commander...»[14]. Ces traits, alliés au prestige et à l'autorité morale que lui conférait le poste de curé de la paroisse, ont dû avoir une influence certaine chez les descendants de Gilles Caillouet concernés. De même, sa responsabilité à titre d'officier de l'état civil de tenir les registres lui procurait un avantage stratégique indéniable pour implanter cette modification du patronyme et lui conférer un certain caractère de pérennité. Enfin, l'influence de ce curé fut vraisemblablement relayée par quelques-uns des descendants eux-mêmes, dont Ludger Cayouette. 

CONCLUSION 

À Bonaventure, le passage du patronyme Caillouette à Cayouette s'est fait assez rapidement, et ses répercussions se font encore sentir encore aujourd'hui. L'examen minutieux des registres paroissiaux a permis d'en suivre la modification et de la documenter, ce qui est pratiquement inexistant pour de telles situations. Des comparaisons avec d'autres patronymes n'ont pu être faites et des avenues de recherche éventuelles n'ont pu être évoquées. Nous formulons le souhait que d'autres généalogistes s'intéressent à ces aspects de leur patronyme. 

Nos remerciements à la direction de la revue L'Ancêtre de nous avoir permis de reproduire cet article sur ce blogue.


[1] Voir René Bureau et Raymond Cayouette. GILLES CAILLOUET. ARMURIER. Un pionnier de Bonaventure. Gaspésie, vol. XXIV, no 4, décembre 1986, p. 43-45. Gilles Cayouette. Gilles Caillouet, armurier (1724-1803).L'ancêtre des Caillouet Caillouette et Cayouette d'Amérique. Sainte-Foy, 16 décembre 1994, 57 p.
[2] Qui fixe la norme en ce domaine? Pour notre part, la graphie Caillouet, façon la plus fréquente pour l'ancêtre de signer son patronyme, sert de patronyme de référence. Par ailleurs, nous ne traitons pas ici des surnoms dont la plupart des familles de cette paroisse sont affublés. Certains des descendants y sont désignés comme des «fuseaux».
[3] Gilles Cayouette. La graphie du patronyme des descendants de Gilles Caillouet (armurier; 1724-1803), ancêtre des «Caillouet», «Caillouette» et «Cayouette» d'Amérique. Sainte Foy. 12 décembre 1996, 69 p. La situation prévalant à Bonaventure est traitée aux pages 24 à 29.
[4] Officiellement, il s'agit de la paroisse de Saint-Bonaventure d'Hamilton. En ce qui a trait aux microfilms, il s'agit, aux Archives nationales du Québec, des bobines dont la cote est ZQ-06-402/01 à ZQ-06-402/3, M 0172/02, M 0177/10 et des bobines # 1217 et 1218 du Fonds Drouin.
[5] Ludger Cayouette et Émilien Cayouette. Généalogie de la famille Cayouette (Janvier) (8 générations). Bonaventure, [s.d.; 1967 ?], n. p.
[6] Voir René Jetté. Traité de généalogie. Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1991, p. 103.
[7] Même si une personne décide de modifier la graphie de son nom, cette dernière n'est nullement modifiée pour autant dans les registres officiels. Un tel changement s'implante donc en pratique à la génération suivante.
[8] L'influence de Joseph-Narcisse (Norbert) Cayouette a peut-être pu jouer auprès de certains de ses proches pour modifier leur patronyme. Élève brillant diplômé de l'École Normale Laval de Québec en juin 1915, il y a suivi les traces de trois frères Cayouette Joseph-Réal-Alphonse, J. Léo et Alphonse Cayouette. Ses proches avaient mis en lui tous leurs espoirs.
[9] Bicentenaire de Bonaventure 1760-1960, (s.d.), [1960?], 399 p. Les trois volumes de Bona Arsenault relatifs aux registres de Bonaventure entre 1791 et 1991. L'ouvrage de Ludger Cayouette et d'Émilien Cayouette.
[10] Jean-Denis Gendron. Quelques traits phonétiques d'une paroisse gaspésienne. Revue de l'association canadienne de linguistique, VI, no 1, mars 1955, p. 7.
[11] Les registres de Bonaventure II. 1900-1960. Montmagny, Éditions Marquis, 1982.
[12] Dans ce cas-ci, il ne peut s'agir de l'application d'une quelconque directive qui aurait pu émaner de l'évêque en vue de standardiser la graphie des patronymes.
[13] Sans compter durant deux ans J. Léo, un jeune frère du curé Cayouette.
[14] Les registres de Bonaventure. Volume I. 1791-1900. Montmagny, Éditions Marquis, 1981, p. 39.

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